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Voir sa vie basculer

Pour illustrer sa longue traversée de la COVID longue, la Dre Anne Bhéreur me montre une photo que lui a envoyée son amie Julie Pinard, elle aussi atteinte d’une forme sévère de la maladie. On y voit les glaces du fleuve à Kamouraska, qui scintillent en mille morceaux sous un soleil d’hiver. Au loin, le brouillard. Sur l’autre rive, le mont des Éboulements.

La photo traduit bien ce que la Dre Bhéreur vit depuis qu’elle a été infectée par la COVID-19. C’était en décembre 2020, à la suite d’une éclosion dans le milieu de soins palliatifs où elle travaillait. La médecin, mère de famille dans la quarantaine qui n’avait pas d’antécédents médicaux et avait de l’énergie à revendre, était persuadée qu’elle retournerait à sa vie d’avant au bout de 10 jours. Plus de quatre ans plus tard, alors qu’elle vit encore avec de lourdes séquelles de la maladie, elle commence à se faire à l’idée que cette vie-là ne reviendra peut-être pas.

« Je trouve ça difficile de penser que je ne retournerai pas à ma pratique », me dit, la voix brisée, la Dre Bhéreur, avec qui je me suis entretenue par visioconférence.

À la veille du cinquième anniversaire de la pandémie, la COVID-19 est un sujet tabou que certains ont le luxe d’oublier. Mais pour les milliers de Québécois atteints de COVID longue, l’oubli est impossible. Ils sentent leur vie en morceaux comme sur la photo. Les pieds dans la glace. Leur avenir dans le brouillard. Et au loin, ces montagnes qu’il faudra encore gravir.